Le 21 mai dernier, le collectif réunissant à Belle-Ile les opposants au projet de Free Mobile d’installer une antenne relai dans le clocher de l’église de Bangor à rendu publique une lettre ouverte au vice-président du groupe Free Iliad, Xavier Niel.
LE TEXTE DE LA LETTRE
Monsieur Niel, vos affaires vont bien, mais comment iront nos enfants dans quelques années?
Monsieur,
Votre société a démarré les travaux d’installation d’une antenne relai 3G/4G, modifiable en 5G sans déclaration préalable, dans le clocher de l’église de Bangor, à proximité de l’école et de la crèche du bourg. Une proposition de médiation vous a pourtant été adressée devant le Tribunal administratif.
En dépit de la décision du juge des référés ordonnant la suspension du projet, vous avez présenté une nouvelle demande au conseil municipal qui vous a une fois de plus donné son autorisation. Malgré les inquiétudes de nombreux habitants, aucune forme de concertation ou de débat public n’a été permis. Un nouveau recours a d’ores et déjà été lancé devant le Tribunal administratif de Rennes.
Nos enfants se trouveront quotidiennement à proximité de cette nouvelle antenne:
- L’école primaire et maternelle de Bangor à seulement 22 mètres
- La crèche Gribouille (seule crèche de l’île) à moins de 100m1.
Contrairement à ce qui a été affirmé par l’un de vos représentants devant le Conseil municipal de Bangor, les enfants ne bénéficieront pas d’un prétendu «effet parapluie». Le dossier déposé en mairie par FREE précise bien que l’école et la crèche se trouveront dans le lobe principal d’émission de l’antenne!
De nombreux scientifiques, institutions publiques, associations, ONG et même, de manière implicite, les opérateurs de téléphonie mobiles et les industriels du secteur, s’accordent à dire que l’innocuité des champs électromagnétiques n’est pas avérée, même en cas d’exposition à des seuils inférieurs aux niveaux réglementaires.
Le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a classifié, en 2011, les champs électromagnétiques des radiofréquences au sein du groupe 2B, c’est-à-dire comme étant possiblement cancérigène pour l’Homme au regard d’un risque accru de gliome (type de cancer malin du cerveau) associé à l’utilisation du téléphone sans fil2.
La Résolution 1815 de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe datant de 20113 indique que «certaines ondes à haute fréquence utilisées dans le domaine des radars, de la télécommunication et de la téléphonie mobile, semblent avoir des effets biologiques non thermiques potentiels (…) sur l’organisme humain, même en cas d’exposition à des niveaux inférieurs aux seuils officiels». Afin de se prémunir des effets sanitaires à long terme (cancers, maladies neurodégénératives, troubles du sommeil et de la concentration, etc.), elle recommande aux États membres, un seuil d’exposition maximal de 0,6 V/m.
En France, les valeurs limites réglementaires d’exposition du public sont de 61 V/m4 pour la fourchette de 2 à300 GHz. En Italie et en Suisse cette norme est de 6V/m toutes fréquences confondues, soit 10 fois plus basse. En Autriche elle est de 0,6 V/m. Malgré des limites réglementaires moins élevées, ces pays disposent d’un réseau de téléphonie de très bonne qualité.
Les seuils d’exposition en France sont donc actuellement jusqu’à 100 fois supérieurs à ceux préconisés par la résolution Européenne.
Dans un rapport sur l’exposition des enfants aux radiofréquences, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail(ANSES) préconise également de revoir les valeurs limites d’exposition réglementaire5.
Concernant les« expositions environnementales», c’est-à-dire liées à des sources lointaines (telles que les antennes relais de téléphonie mobiles), il est spécifié que«la petite taille des enfants peut, par effet de résonance, engendrer des expositions moyennes sur le corps entier plus élevées que pour les adultes. (…)».
Dans ce contexte, l’Agence recommande que «les niveaux de référence visant à limiter l’exposition environnementale aux champs électromagnétiques radiofréquences (liée aux sources lointaines) soient reconsidérés, afin d’assurer des marges de sécurité́ suffisamment grandes pour protéger la santé et la sécurité ́de la population générale, et tout particulièrement celles des enfants».
Les juridictions de l’ordre judiciaire se sont également prononcées à plusieurs reprises sur les risques sanitaires que représentent les expositions aux champs électromagnétiques:
- La cour d’appel de Montpellier a jugé qu’il résulte de nombreux rapports scientifiques qu’il n’existe aucune garantie d’absence de risque sanitaire concernant l’exposition aux champs électromagnétiques6.
- La cour d’appel de Paris a considéré en 2021 que le projet d’implantation de 90 points d’accès WIFI en différents lieux de la société Air France, dit projet «Waves», comportait un risque sanitaire grave7. «Les champs électromagnétiques sont potentiellement nocifs et il est recommandé d’en limiter les expositions.»
Le 3 ème plan national Santé Environnement précise quant à lui que «les incertitudes scientifiques sur ce sujet nécessitent une vigilance et un suivi, ainsi que la poursuite d’un objectif de transparence de l’information et de sobriété en matière d’émission d’ondes électromagnétiques»8.
En 2013, le rapport «Développement des usages mobiles et principe de sobriété»,réalisé à la demande du Premier Ministre,préconise le respect d’un objectif de sobriété dans l’exposition du public aux champs électromagnétiques.
Les recommandations établies par l’association des maires de France et l’association française des opérateurs mobiles incitent à éviter l’implantation sur des équipements « sensibles » (crèches, écoles, établissements de soins…).
Il existe donc suffisamment d’éléments circonstanciés qui accréditent l’hypothèse selon laquelle les champs électromagnétiques, même en cas d’exposition de l’Homme à des seuils inférieurs aux valeurs réglementaires, constituent un risque d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé.
Les pouvoirs publics ont d’ores et déjà limité l’exposition aux champs électromagnétiques des personnes les plus vulnérables, comme les enfants9.
C’est donc bien que l’effet potentiellement nocif de ces champs est connu et reconnu, et ce, même en cas d’exposition à des seuils inférieurs au niveau réglementaire.
Nier ces éléments a pour conséquence de faire sciemment courir un risque sanitaire à la population au seul prétexte qu’il n’existerait pas de risque avéré pour la santé humaine, comme ce fût malheureusement le cas, par exemple, pour l’amiante ou le plomb.
Nous vous informons que nous allons engager une campagne de communication, cette fois-ci nationale, auprès des médias et des parlementaires afin de les informer du peu de cas que votre société fait du principe de précaution et de la santé de nos concitoyens, et tout particulièrement des enfants. La loi doit évoluer et l’installation d’une antenne relai à moins de 300 mètres d’une crèche ou d’une école doit désormais être interdite.
Vous n’êtes en effet pas sans ignorer que le décret n°2002-775 du 3 mai 2002 prévoit que les exploitants d’installations radioélectriques –à la demande des administrations ou autorités affectataires des fréquences– doivent communiquer un dossier qui précise, notamment, les actions engagées pour assurer qu’au sein des établissements scolaires, crèches ou établissements de soins, situés dans un rayon de cent mètres de l’installation, l’exposition du public au champ électromagnétique émis par cette installation est aussi faible que possible tout en préservant la qualité du service rendu. Dans le cas présent vous cumulez une école maternelle, une école primaire et la seule crèche de l’Ile.
Ce projet pouvant générer des troubles à l’ordre publique, nous demandons également au préfet du Morbihan, Monsieur Patrice Faure, d’intervenir pour :
- S’assurer auprès de l’Agence nationale des fréquences(ANFR) et des services de l’état compétents que toutes les dispositions ont été prises pour protéger les populations, notamment les enfants comme la Loi les y oblige.
- Qu’une médiation gracieuse puisse être organisée sous son égide entre votre société, la mairie,le collectif et les citoyens qui ont attaqué l’autorisation devant le tribunal administratif et gagné en référé lors du premier recours.
Nous ne manquerons pas de signaler au tribunal que le fait d’avoir démarré sans même attendre le jugement sur le fond pose un problème démocratique quand on sait les moyens dont dispose un opérateur télécom associé à une mairie face à un simple collectif de citoyens qui ne demande que l’application de la Loi et du bon sens.
Nous vous demandons de bien vouloir reconsidérer l’emplacement de l’installation de l’antenne relai sur la commune de Bangor, à plus de 300 mètres des habitations, de l’école et de la crèche.
Enfin nous prenons date auprès de vous et de l’ANFR pour le cas où surviendraient dans les années qui viennent des problèmes sanitaires qui pourraient être dus, totalement ou partiellement, à cet équipement et la non-application du principe de précaution.
Nous vous prions, Monsieur, d’agréer l’expression de nos sincères salutations,
Le Collectif contre l’antenne relai dans le bourg de Bangor.
BP 56 56360 LE PALAIS
Copie à: Madame Annaïck Huchet, Maire de Bangor; Monsieur Patrice Faure, Préfet du Morbihan; Monsieur le Président de l’ASEF, Monsieur Jimmy Pahun, Député du Morbihan; Monsieur Adrien Taquet, Secrétaire d’état à la Protection de l’Enfance; Monsieur le Président de l’ANFR;Monsieur Olivier Veran, Ministre des solidarités et de la santé; Madame Agnès Pannier-Runacher, Ministre déléguée à l’industrie; Madame Claire Hédon, Défenseure des droits.
1Page 15 et 16 du dossier d’information déposé en mairie par FREE
2Le CIRC classe les champs électromagnétiques de radiofréquences comme «peut-être cancérogènes pour l’Homme», 31 mai 2011
3Résolution 1815,Le danger potentiel des champs électromagnétiques et leur effet sur l’environnement, 27 mai 2011
4Décret N°2002-775, du 3 mai 2002
5Rapport d’expertise collective Exposition aux radiofréquences et santé des enfants, ANSES, juin 2016
6CA Montpellier, 5ème Cb section A, 15 septembre 2011, n°14/0461
7CA Paris, Cb 1 Pôle 6, 10 décembre 2012, n°12/0145
8Page 74 du plan national santé environnement (PNSE) 2015-2019
9Article 7 de la loi n° 2015-136 du 9 février 2015 relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétique